Un nouvel âge de ténèbres
James Bridle
Éditions Allia / 2022
Un nouvel âge de ténèbres
La technologie et la fin du futur
James Bridle
Paris, éditions Allia, 2022 (New Dark Age, Verso, Londres, 2018 - trad. B.Saltel)
James Bridle, artiste et écrivain, publie en anglais Ways of Being et en français Un nouvel âge de ténèbres en référence à H.P. Lovecraft (L’appel de Cthulhu, 1926) : « Un jour viendra où la synthèse de ces connaissances nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous, à moins que nous ne fuyions cette clarté funeste pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d’un nouvel âge de ténèbres. »
Bridle propose une histoire de l’automatisation et de la connaissance computationnelle, depuis la découverte de l’Amérique jusqu’aux microprocesseurs qui raconte comment le pouvoir se concentre dans de moins en moins de mains et la compréhension dans de moins en moins de têtes.
Découpé en thèmes (computation, climat, calcul, compléxité, cognition, complicité, conspiration, simultanéité, nuage), Bridle fait autant appel à la pop culture qu’à la philosophie de Morton (dont on parlera le mois prochain) pour traiter de la pensée computationnelle et de l’illusion qui la sous-tend.
« Tous les processus stables, nous les prévoirons. Tous les processus instables, nous les contrôlerons. » V.K.Zworykin, chercheur en météorologie en 1945.
Il faut insister sur le fait que le numérique a toujours une Histoire même si on prétend le contraire.
Le monde est remplacé par des modèles. Ce qui est possible devient ce qui est calculable. Or plus nous nous entêtons à calculer le monde, plus ils nous apparaît complexe au-delà du concevable (effet Richardson). Il produit ses propres absurdités comme la mort par selfie ou celle par GPS pour un suivi irréfléchi d’instructions données par un assistant de navigation GPS (Global Positioning System). Le complot en est une autre expression. « La conspiration est la cartographie cognitive du pauvre de l’ère postmoderne. C’est la figure dégradée de la logique totale du capital tardif », une tentative désespérée de représenter, comprendre et contrôler le système.
Le calcul informatisé est un piratage cognitif qui décharge dans la machine notre processus décisionnel et notre responsabilité.
Il suffit de ‘sen remettre à la vérité émergente du calcul. C’est un sophisme qui repose sur la croyance réductionniste qui pense comprendre et contrôler sur la base d’une analyse d’éléments séparés du tout.
Résultat, tout est éclairé mais on ne voit rien.
Le recours à la logique computationnelle de la surveillance pour obtenir une vérité sur le monde nous place dans une position précaire. La connaissance ne peut produire sa vérité qu’à partir des données dont elle dispose. Donc toute connaissance est réduite au calcul. Cette logique nie notre capacité à penser en l’absence de certitude. Pour agir, il faut des preuves (a posteriori) quand il faudrait agir dans le présent.
Un des meilleurs livres sur le sujet numérique depuis L’âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff en 2020.